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Reportage en Zambie : Voyage afro-chrétien

Envoyée spéciale à Lusaka : Linda Caille Reportage photos Joaquim Dassonville

50% des Africains chrétiens appartiennent à des églises indépendantes. Ni protestantes, ni catholiques, elles sont nées lors des indépendances nationales et revendiquent leur expression de la foi pleinement africaine et chrétienne. Choses vues en Zambie.

Voir article sur site du DéfapLusaka, un samedi après midi. Au creux de la capitale zambienne, la chaleur et le rythme montent. Dans ce large hangar aux murs à claire-voie, une vingtaine de jeunes chantent de toute leur voix et dansent de tout leur corps. Ils se sont rassemblés autour de trois joueurs de tambours accroupis au pied d’une croix. Aucune statue, aucune image, aucun autel ne décorent le temple. Demain, dans la même atmosphère bon enfant, ils auront noué autour de leurs reins le pagne mauve et brun de la chorale et, devant le pasteur, tous célébreront leur Seigneur avec la même ferveur. Ils incarnent l’africanité et le christianisme. Ces éléments, par un syncrétisme dynamique, se mêlent et fusionnent pour former le culte des Eglises dites indépendantes ou afro-chrétiennes.

Ces Eglises, instituées par des Africains et pour des Africains, ont été créées en réaction à la tutelle des colons occidentaux et à leur emprise missionnaire. Elles ne sont ni catholiques, ni protestantes. Si les premières apparitions du christianisme remontent au II ème siècle en Ethiopie, les autochtones se sont réapproprié la religion chrétienne au moment de la décolonisation en l’adaptant aux valeurs des sociétés traditionnelles africaines, faites de respect du clan familial et du culte des ancêtres. Leur propagation dans les régions sub-sahariennes exprime un aspect du « nationalisme » noir.

Syndicats ouvriers et liberté spirituelle

En Afrique australe, au nord de la Zambie, dans la riche région des mines de cuivre la Copperbelt, la création d’Eglises indépendantes au début des années 1960 a coïncidé avec la constitution des premiers syndicats ouvriers revendiquant une liberté politique. En 1991, le président Chiluba promulgue une constitution inspirée d’un mélange d’idéologie socialiste, de valeurs traditionnelles africaines et de christianisme.

Célébrations dès six heures du matin

Dès le lever du soleil, le centre ville populaire de Lusaka apparaît comme un labyrinthe de larges avenues poussiéreuses. Aux carrefours, des enfants pieds nus vendent des broutilles en plastique. Les affiches peintes sur des palissades de fortune invitent les passants aux célébrations quotidiennes dès six heures du matin. À côté de la banque centrale, dans un haut building désert, le révérend David Masupa, responsable des églises indépendantes de Zambie (ICOZ) détaille les pratiques des églises composant la fédération : « Nous représentons des Eglises autochtones où la célébration est chrétienne. Pour nous, la Bible est la parole de Dieu, elle demeure l’unique fondement de notre doctrine. Nous chantons, nous dansons, nous prions sur des rythmes africains, nous jouons du tambour, nous battons la pulsation sur des morceaux de bois ou de métal. Notre foi s’exprime de manière africaine. Ainsi nous pouvons sentir l’esprit de l’Afrique et comprendre comment Dieu veut communiquer avec nous ». Pour ces Eglises, l’africanisation des rites a pourtant des limites. Certaines coutumes ancestrales sont jugées démoniaques comme le recours aux marabouts, aux envoûteurs et l’utilisation de fétiches, ces objets chargés d’un pouvoir magique, est catégoriquement refusée par ces africains chrétiens.

À la différence des Eglises pentecôtistes soutenues financièrement par des missions étrangères, notamment américaines, les Eglises indépendantes vivent sur leurs maigres fonds. Elles ne peuvent donc pas acquérir d’édifice pour leur seul usage et sont obligées de se rassembler dans des écoles ou des halles ouvertes aux quatre vents. Les fidèles s’y confessent en public et le baptême se pratique par immersion totale du corps de l’adulte. Ce sacrement peut être reproduit plusieurs fois dans une vie tant le baptême apparaît comme un acte de guérison.

Sida, paludisme et sortilège

« Aujourd’hui Dieu guérit les aveugles nous le croyons » assure David Masupa. En Afrique australe, 60 % de la population vit aujourd’hui avec le virus du sida et le paludisme tue plus d’un million de personnes chaque année dont beaucoup d’enfants de moins de cinq ans. Reter en bonne santé et guérir d’un mal deviennent des préoccupations quotidiennes. Dans la culture africaine traditionnelle, les causes des maladies ne sont pas biologiques, elles proviennent de sortilèges jetés sur les individus et leur entourage. La souffrance n’est pas seulement la conséquence d’un organe malade, elle révèle surtout qu’une relation sociale avec un vivant, ou un mort, est perturbée. Ainsi le monde visible dépend du monde invisible, celui des esprits et des ancêtres. Certaines pratiques de guérison spirituelle peuvent s’avérer plus efficaces et spectaculaires que l’absorption de médicaments coûteux.

Séjours des morts

Quelques jours plus tard, la scène se passe dans une pièce débarrassée de ses meubles. « Au nom de Jésus-Christ je te chasse, retourne maintenant au séjour des morts » déclame un pasteur d’une trentaine d’années lors d’un exorcisme qu’il nomme « prière dite de délivrance ». À ses pieds, le fidèle se tord. Le pasteur s’adresse directement aux démons et aux esprits jugés responsables des troubles. Il détient le don de transmettre la volonté de Dieu et impose les mains, geste par lequel le Saint Esprit guérit la personne possédée. Le fidèle en transes, marmonne, grimace et se débat comme s’il luttait avec un adversaire invisible. Une fois revenu à lui, il est épuisé comme le sont les démoniaques délivrés par Jésus dans les textes des évangiles. La pratique chrétienne de l’exorcisme correspond chez beaucoup d’Africains à la conception d’un Dieu omnipotent pouvant intervenir directement dans la vie quotidienne pour soigner les corps et les âmes. Sous le choc, mais heureux, il s’en va en promettant d’être vigilant.

Christ noir

Au cœur de ces mouvements d’indépendance se dresse le prophète, à la fois chef de guerre, maître spirituel et leader politique. Il épouse la figure traditionnelle du chef de clan concentrant tous les pouvoirs. À l’extérieur de Lusaka, au-delà du marché au charbon, l’église kimbanguiste se dresse entre un terrain de football et de chétives habitations. « Notre église a été fondée par un prophète noir, Simon Kimbangu inspiré par Dieu, explique, fier et ravi, un zambien de soixante-dix ans, moi je n’ai pas vu ce qu’il a fait mais j’ai vu de mes propres yeux ce que ses fils ont pu faire, ils ont ramené des morts à la vie ». Le sage affirme, d’un coup de menton : « Jésus-Christ était noir », puis il ajoute, « ce qui compte, c’est le chemin jusqu’à Dieu ». Affirmer que le Christ avait la peau noire est une manière pour ces fidèles de s’approprier son message plutôt qu’une revendication identitaire. L’homme de Dieu peut aussi être une femme. Les Eglises indépendantes leur ont offert l’occasion d’exercer une autorité qui leur était jusque-là interdite dans des sociétés traditionnelles et colonisées.

L’équilibre entre pratiques traditionnelles, occultisme et christianisme est souvent difficile pour des fidèles vivant dans des situations sanitaires précaires. Le recours à un guérisseur et à sa pharmacopée se fait d’autant plus urgent que les traitements comme la trithérapie sont onéreux. La figure du Christ peut apparaître comme une sorte de « super fétiche ».

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